Jochen Gerz, Revolut…

06.06 — 24.07.2025

Artiste conceptuel d’origine allemande, Jochen Gerz (né en 1940) a fondé son œuvre sur les thèmes de la séparation et du souvenir. Après des études de philologie, de sinologie et de préhistoire, Gerz entame une brève carrière d’écrivain au terme de laquelle il conclut à l’impasse de la poésie moderne. C’est en autodidacte qu’il se tourne alors vers les arts visuels pour développer une critique radicale du langage et de l’image dans une société dominée par les médias de masse. Gerz remet en cause la communication moderne et ses canaux à travers des performances publiques puis des installations, des vidéos, des éditions, des photographies, ce dès 1966, date à laquelle il s’installe à Paris. 

Commencée au tournant des années 70 et poursuivie durant une dizaine d’années, la série des Photos-Textes se présente sous la forme d’images juxtaposées dont le sujet ne semble pas remarquable à priori : le passage d’une femme promenant un chien au bord d’une rivière, un paysage vu à travers le pare-brise d’une voiture, une allée d’arbre dans un parc, etc. Chaque photographie est prise en noir et blanc, au même endroit, sous le même angle, à quelques secondes d’intervalle (ou suivant des ellipses plus longues), donnant à voir d’infimes changements, le passage du temps plutôt qu’un évènement. Un texte accompagne ces images, comme la voix-off d’un film. Il ne décrit pas, ne légende pas, préférant à toute explication l’invention d’une fiction poétique, d’une histoire. Confronté à l’absence apparente de message, le spectateur est invité à reconsidérer son rapport à la photographie et au texte, de mettre en doute ses attentes vis-à-vis de l’œuvre d’art : « Peut-être est-ce le pourquoi de la simultanéité de l’image et du texte dans mon travail, confie l’artiste. Leur impossible addition crée, sous prétexte d’évidences, un non-lieu entre le regard-chasseur et son objet au mur. Pour une fois le désir de compréhension, de reconnaissance, reste sans suite : le regard se voit. » (in Patrick Le Nouëne, « Entretien avec Jochen Gerz », in Gerz, Œuvres sur papier photographique 1983-86). 

Jochen Gerz, They had been traveling for days – Photo/Text # 87, 1977, 5 photographies noir et blanc encadrées, 1 texte encadré (dactylographié sur papier), chacune : 13,5 x 18,5 cm, l’ensemble : 42 x 64,3 cm, unique. Catalogue raisonné CR 221
Jochen Gerz, Revolut…, 1990 (1971), bois, verre, feutrine verte, cubes en bois, 28 x 26 x 4 cm, signé et daté au dos, ed. 6/10. Catalogue raisonné CR 754

Les éditions qu’il réalise parallèlement prolongent les réflexions des Photos-Textes, mettant notamment l’accent sur la problématique du temps et de la mémoire. Gerz y joue aussi avec la matérialité du langage et sa capacité à signifier, dans une démarche directement héritée de la poésie visuelle et concrète qu’il pratique à ses débuts. Avec l’édition intitulée Revolut… (1971 ; 1990), il morcelle par exemple les dernières lettres du mot « révolution », inscrites sur des dés à jouer, pour évoquer visuellement sa signification. 

À la fin des années 80, Gerz se tourne progressivement vers l’installation d’œuvres monumentales dans l’espace public. Ses « anti-monuments », comme il les appelle, convoquent la mémoire collective et la responsabilité du corps social face à l’histoire par le biais d’installations qui subvertissent l’idée-même de commémoration. En 1990, il entreprend avec ses élèves de desceller clandestinement certains pavés de la place faisant face au château de Sarrebruck, ancien quartier général de la Gestapo, devenu le siège du parlement régional. Sous chacun de ces pavés, Gerz fait graver le nom d’un cimetière juif allemand, avant de le remettre en place avec l’inscription symboliquement tournée contre terre. Au total, 2146 pavés seront ainsi marqués et retournés, formant Le Monument Invisible.  

Jochen Gerz a participé aux Documenta 6 et 8 et a exposé dans le pavillon allemand de la 37e biennale de Venise en 1976 (avec Joseph Beuys et Reiner Ruthenbeck). Son travail a fait l’objet de nombreuses expositions collectives et individuelles ainsi que de rétrospectives importantes dans des musées allemands, européens et nord-américains, comme celle qui lui est dédiée par le Centre Pompidou en 2002. Il est représenté dans plus d’une centaine de collections publiques internationales dont la Art Gallery of Ontario, Toronto, le Hamburger Bahnhof – Museum für Gegenwart, Berlin, la Neue Nationalgalerie, Berlin, le San Francisco Museum of Modern Art, The Banff Centre, Walter Phillipps Gallery, Banff, le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris et le Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris.

Revolut… est sa première exposition en galerie depuis qu’il a choisi de se consacrer à des commandes publiques ou à des réalisations en extérieur. Elle rassemble un important ensemble de Photos-Textes et d’éditions couvrant une période allant de 1968 à 1990, grâce au généreux concours d’une famille de mécènes et collectionneurs passionnés.