Imre Pán & Aurelie Nemours, Correspondances

Revue intitulée Les hors-textes de Morphèmes publiée par le poète, critique d'art et éditeur hongrois Imre Pan en 1965, contenant un poème et un collage original de l'artiste française Aurelie Nemours.
Aurelie Nemours, Imre Pan, Les hors-textes de MORPHÈMES, 1965, Cahier : 4 pp, 19,2 x 14,5 cm, Collage : papiers collés sur carton, 19 x 14 cm, signé, daté et numéroté VIII au dos, unique
Collage abstrait de l'artiste française Aurelie Nemours datant de 1965, réalisé partir de morceaux de papier noir, bleu et blanc découpés dans des journaux.
Aurelie Nemours, Sans titre (réalisé pour Les hors-textes de MORPHÈMES édité par Imre Pan), papiers collés sur carton, 19 x 14 cm, signé, daté et numéroté VIII au dos, unique
Collage abstrait de l'artiste française Aurelie Nemours datant de 1965, réalisé partir de morceaux de papier noir, jaune, blanc, rose et orange découpés dans des journaux.
Aurelie Nemours, Sans titre (réalisé pour Les hors-textes de MORPHÈMES édité par Imre Pan), 1965, papiers collés sur carton, 19 x 14 cm, signé, daté et numéroté II au dos, unique
Collage abstrait de l'artiste française Aurelie Nemours datant de 1968, réalisé partir de lettrages découpés dans du papier journal.
Aurelie Nemours, Sans titre, 1968, papiers collés sur carton, 19 x 14 cm, signé, daté et numéroté 7 au dos, unique
Sérigraphie abstraite de l'artiste française Aurelie Nemours datant de 1970, représentant un enchainement de carrés marron, orange, rouge et blanc autour d'un carré noir.
Aurelie Nemours, Sans titre, 1970-1971, sérigraphie, 16 x 12,5 cm, signée et numérotée 28/100
Sérigraphie abstraite de l'artiste française Aurelie Nemours datant de 1970, représentant un enchainement de carrés noir, bleu, rouge et jaune autour d'un carré blanc.
Aurelie Nemours, Sans titre, 1970-1971, sérigraphie, 16 x 12.5 cm, signé et numéroté 26/100

Les collages d’Aurelie Nemours sont une surprise. Visuelle. Plastique. Poétique. Pour qui s’est habitué.e, un peu distraitement, aux œuvres géométriques de la ligne – horizontale, verticale – et du point chez l’artiste, à son noir et à son blanc aussi rigoureux que sensuels, à ses aplats vibrant de couleurs monochromes, au vide profond, velouté, d’un infini répété qu’elle déploie de série en série, ses collages de 1965 et de 1968, réalisés à la demande d’Imre Pan pour les éditions qu’il conçoit de façon inlassable, entrecroisée, rhizomatique, fragmentée, et dont il reprend sans cesse l’intitulé (Signe, Signe Morphèmes, Signe L’art du dessin, L’estampe moderne, Morphèmes, Mini-Musée, Préverbes…), s’avèrent, à leur découverte, des ensembles d’une singulière unité et, surtout, un fructueux pas-de-côté de l’artiste.

Lorsqu’ils se sont dévoilés de leur papier de soie où ils étaient scrupuleusement mis à l’abri de la lumière naturelle, de la poussière longue du temps, des éventuelles déchirures ou pliures, lorsqu’ils se sont détachés de leur enveloppe de souple et mat papier cartonné vélin d’Arches qui les épouse à l’un des exemplaires de la revue Morphèmes, plus précisément le numéro 5 daté de 1965, et au poème « Équerre » de l’artiste, ce fut un miroitement éblouissant d’aplats larges ou en lanières découpées, de couleurs vives, entrecoupées, enchevêtrées, entrelacées, une modulation d’obliques, une ondulation de bleu, de vert, de rouge, de jaune, une danse ou plutôt une chorégraphie si peu austère de lettres typographiques jouant du fragment et du caché, venu d’un papier magazine ordinaire de la société moderne et consommatrice du début des années 1960 qui ouvraient à de nouvelles avant-gardes artistiques ne dédaignant pas redécouvrir la technique du collage et des papiers peints. Ainsi le Pop Art. Si les collages si originaux d’Aurelie Nemours sont une surprise, ou s’ils sont à chaque fois un étonnement, ils n’étaient pas des inconnus du travail de l’artiste de Rythme du millimètre ou Structure du silence… à tout le moins des oubliés que Serge Lemoine et Marianne Le Pomméré firent revenir au visible d’une exposition et d’un catalogue en 2001, au Musée de Grenoble, dans Aurelie Nemours. Pastels. Gouaches. Collages.

Mais l’oubli, encore, les menace, vingt ans après…

Les faire revenir, aujourd’hui, en 2023, dans la vitrine de la galerie Abraham & Wolff, dans une présentation discrète et modeste, attentive à la fois à ce qu’ils sont en tant qu’œuvre plastique unique et en tant que partie prenante d’une édition unissant poésie et forme visuelle, d’une édition qui dissout les frontières arbitraires entre le littéraire et les arts visuels, c’est faire revenir au jour l’un des exemples les plus riches et sensibles de collaboration entre un critique d’art poète et une artiste poète. Et par cette « association » qui se réalise sous le format de la publication éditoriale – le grand projet ou le grand œuvre d’Imre Pan dans ses années parisiennes –, Aurelie Nemours rejoint des artistes amies comme Marcelle Cahn, des artistes – dont sans nul doute elle est plus éloignée – soutenus et inlassablement exposés, montrés par Imre Pan depuis son installation à Paris, tels que Étienne Hadju, Victor Vasarely, Geneviève Asse, Corneille, Roberto Matta, André Marfaing, Christine Boumeester, René Bertholo, Sonia Delaunay, Jacques Doucet, Arpad Szenes, Ida Karskaya, et, un peu plus tard, Lourdes Castro, Milvia Maglione, Colette Brunschwig…

Imre Pan, qui crée, à partir de 1960, ces éditions de petit ou moyen format, à tirage limité, publiées sous forme de cahier imprimé composé d’un texte critique dont il est l’auteur ou d’un poème d’artiste comme pour Aurelie Nemours, et accompagnées d’une œuvre originale inédite (eau-forte, dessin, aquarelle, gouache, pastel, collage), s’inscrit dans la généalogie de ce synchrétisme des arts des premières avant-gardes de la modernité du début du XXe siècle. Pan le perpétue, le maintient, le renouvelle, le réactualise tout au long de cette décennie des années 1960 qui invente et s’interroge sur d’autres possibles d’usages des matériaux et de nouveaux langages formels où l’écrit et la lettre redessinent des surfaces, rythment des blancs et des espaces typographiés, où se déploie au sein de groupes artistiques expérimentaux, au Brésil, aux États-Unis, en France, en Italie, au Portugal, une poésie visuelle, concrète, sonore. Les collages d’Aurelie Nemours, s’ils s’ancrent dans la lignée cubiste de ceux de Kurt Schwitters, par exemple, ne peuvent pas ne pas être regardés à l’aune des nouvelles formes poétiques et musicales contemporaines, et de cette pratique renouvelée du collage.

Aurelie Nemours et Imre Pan se rencontrent en 1963. Leur collaboration s’étend tout au long de la décennie. Elle s’initie à travers la publication d’une poésie de l’artiste dans le premier numéro de la revue Morphèmes (janvier-février 1963) :

« L’herbe
Le souffle
Les vols voluptueux
Les trilles secrètes
Le chant
L’astre en filigrane pour matin
De Gloire
Insolite la vérité de ce martyr
Dans notre mémoire d’innocence »

Le second numéro de la revue (mars-avril 1963) – qui est accompagné d’une eau-forte de Geneviève Asse – accueille un nouveau poème d’Aurelie Nemours :

« La trace 

L’éclair

L’Instant
L’espace donné de charité

L’impondérabilité
La face »

En 1965 ou 1964, donc, Imre Pan invite Aurelie Nemours à réaliser un ensemble de vingt collages qui sont publiés dans le numéro 5 des Feuillets de Morphèmes ou Hors texte de Morphèmes daté de 1965. L’artiste compose un nouveau poème, « Équerre », sorte de réponse regard vers ces œuvres pour elle inédites dans sa pratique, et d’aucun.es s’accordent à considérer qu’elle y attacha peu d’importance. Faut-il écouter Aurelie Nemours ? L’unité et la singularité de l’ensemble, qui sera complétée en 1968 par la création d’une nouvelle série de vingt collages numérotés et signés, toujours à la demande d’Imre Pan, laissent à imaginer qu’il y a moins eu indifférence de la part d’Aurelie Nemours qu’expérimentation esthétique et méditative.

Les collages de 1968 n’ont jamais été publiés dans l’édition qui était probablement envisagée par Imre Pan. Ils se caractérisent également par une unité visuelle proche de la partition musicale fragmentée, l’artiste explorant davantage les torsions et les découpes du mot, de son unité-signe, la lettre. C’est sans doute dans l’insolite de ces collages restés esseulés de leur publication que se manifeste avec le plus de prégnance les échos d’une poésie concrète et sonore dans le silence même des écarts de blanc, dans les rythmes sinueux de coupes typographiques inattendues, et inventives d’une nouvelle plasticité du mot matière et de sa forme détachée.

Regarder les collages d’Aurelie Nemours, c’est mobiliser le mobile et le méditatif, le mouvement et l’énergie de l’espace ; c’est se tourner vers le contemporain du fragment et de la découpe, de la césure et de l’étale, particulièrement si l’on reste à l’écoute des pièces de 1968. Si la demande est : les collages d’Aurelie Nemours sont-ils des poèmes ? L’affirmatif est la réponse.

Marjorie Micucci, avril 2023