Imre Pán, Une collection historique

Sonia Delaunay, Sans titre, 1913, aquarelle, 27 x 21 cm
Vassily Kandinsky, Sans titre, 1930, encre de chine, 34,8 x 23 cm
Pierre Soulages, Sans titre, 1953, encre de chine, 32,8 x 24,8 cm
Natalia Gontcharova, Sans titre, 1910, aquarelle, 26,8 x 17,2 cm

Critique d’art, commissaire d’exposition, libraire, éditeur d’art et créateur de revues, Imre Pán (1904 – 1972) est l’une des figures majeures de la vie artistique hongroise au XXème siècle. Participant très tôt aux mouvements d’avant-gardes, il fonde avec son frère plusieurs revues auxquelles collaborent de nombreux peintres et artistes hongrois et européens dont Jean Arp. En 1935, Pán ouvre une librairie-galerie qui devient un lieu de rencontre et d’échange privilégié pour l’intelligentsia de Budapest. Après la guerre (durant laquelle il devra vivre caché), Pán y organise pas moins de trente-huit expositions en l’espace de trois ans. Il expose notamment le peintre surréaliste Jacques Doucet et l’artiste néerlandais Corneille. C’est également le lieu de rendez-vous de l’École européenne (dont Pán est l’un des fondateurs), un rassemblement d’intellectuels visant à désenclaver culturellement la Hongrie. Cette effervescence dure jusqu’en 1948, date à laquelle la politique culturelle stalinienne entraine la dissolution de l’École européenne et la fermeture de la librairie.   

En 1957, suite à la répression brutale de l’insurrection de Budapest, Pán choisit de quitter la Hongrie et de s’installer à Paris. Il y retrouve des artistes connus, Doucet, Corneille, ainsi que la diaspora artistique hongroise : Étienne Hajdu, Anton Prinner, Árpád Szenes, Vasarely, Endre Bálint. Il entre également en contact avec des artistes liés aux nouveaux mouvements d’avant-gardes émergeant sur la scène parisienne de la fin des années 1950 et du début des années 1960. En peu de temps, Pán prend activement part au monde de l’art parisien. Au cours des années 60, il organise ainsi en collaboration avec des galeries amies (telles La Main Gauche, La Roue ou Le Point Cardinal) de nombreuses expositions mettant en avant le travail d’artistes aussi divers que Jean Arp et Sophie Taeuber-Arp, Georges Braque, André Masson, Fernand Léger, Sonia et Robert Delaunay, Max Ernst, Hans Bellmer et Unica Zurn, Natalia Gontcharova et Mikhaïl Larionov, Corneille, Pierre Vasarely, Serge Poliakoff, André Marfaing, Colette Brunschwig, Marcelle Cahn, Roberto Matta ou Margit Anna, pour ne citer que quelques noms. La plupart figurent dans les quelques 150 publications d’art qu’il édita à partir de 1960 et qu’il développa et enrichit jusqu’à sa disparition en 1972. 

Tandis que la Galerie Jocelyn Wolff rend hommage à sa carrière d’éditeur d’art (Imre Pán. Une histoire artistique et éditoriale européenne dans le Paris des années 1960, à partir du 3 mars 2024, commissariat par Marjorie Micucci), Abraham & Wolff met à l’honneur une autre facette de son activité foisonnante : celle du collectionneur. 

Alliant sa fine connaissance des avant-gardes à une très grande sensibilité, Imre Pán a réuni tout au long de sa vie une collection exceptionnelle. Aussi bien à Budapest qu’à Paris, il acquérait des œuvres auprès des galeristes mais aussi des artistes qu’il admirait et dont il aimait visiter les ateliers. Il achetait principalement des œuvres sur papier de petit format, ébauches, esquisses, dessins préparatoires, fasciné par ces œuvres dans lesquelles l’art est en train de se faire.

Qualifié de « collection historique » par Imre Pán lui-même, l’ensemble que nous présentons n’est qu’une partie de sa collection. Il est constitué de 53 œuvres sur papier couvrant une période allant de 1910 à 1968. Deux générations d’artistes s’y côtoient pour former un véritable panorama de la création européenne de la première moitié du XXème siècle et de l’Après-Guerre, toutes tendances confondues. Force est de constater que l’histoire retracée ici par Pán a été, pour l’essentiel, validée par la postérité. 

Avec des œuvres de Natalia Gontcharova, Mikhaïl Larionov, Roger de La Fresnaye, Sonia Delaunay, Albert Gleizes, Otakar Kubín, Suzanne Duchamp, Max Jacob, Leopold Survage, Ossip Zadkine, André Bauchant, Sophie Taeuber-Arp, Bela Kadar, Marcel Gromaire, Léon Tutundjian, André Derain, Pierre Tal Coat, Francis Picabia, Vassily Kandinsky, Maurice Estève, Georges Valmier, Salvador Dalí, Lajos Vajda, Hans Reichel, Yves Tanguy, Gaston Chaissac, Wilfredo Lam, Jean Arp, Christine Boumeester, Max Ernst, Jean Fautrier, Jacques Villon, André Heurtaux, Henri Matisse, Wols, Victor Vasarely, Óscar Domínguez, Auguste Herbin, Corneille, Pierre Soulages, Camille Bryen, Raoul Ubac, Roberto Matta, Henri Michaux, Hans Bellmer, Maria Helena Vieira da Silva, Alberto Giacometti, Asger Jorn et Pablo Picasso.

Jocelyn Wolff et Samy Abraham tiennent à remercier très chaleureusement Sophie Pán qui nous a ouvert les archives et la collection de son père afin de préparer cette exposition.

Gabetti et Isola – Une autre modernité

Roberto Gabetti et Aimaro Isola, Tapipardo, Tapileo, lampe Bul-Bo et mobilier modulaire conçus pour Olivetti (1967-1971), tabouret pour dessin technique (1951).
Roberto Gabetti et Aimaro Isola, lampe Bul-bo, Tapipardo, mobilier modulaire conçus pour Olivetti (1967-1971). 
Roberto Gabetti et Aimaro Isola, Tapiorso et mobilier modulaire conçus pour Olivetti (1967-1971).
Roberto Gabetti et Aimaro Isola, chaise et fauteuil conçus pour la Borsa Valori de Turin (1953-1956), dessins techniques de Aimaro Isola, lampe Venini.
Roberto Gabetti et Aimaro Isola, Tapipardo, 1968 – 1971 pour le complexe Olivetti (Italie, Ivrée), édition Amini Carpets 2022, composition : 80 % laine, 20 % coton, tissage à la main, 250 × 200 cm

Pour notre première exposition de l’année 2024, nous sommes heureux de présenter un ensemble rare et inédit de mobilier et de dessins du duo d’architectes et designers turinois Gabetti et Isola. 

Tournant le dos aux préceptes du modernisme et du style international, Roberto Gabetti (1925-2000) et Aimaro Isola (1928-) se démarquent dès le début des années 50 par une vision originale de l’avant-garde ancrée dans la tradition architecturale italienne et le style art nouveau. À la recherche d’un dialogue harmonieux entre l’édifice et son contexte urbain, leur style se caractérise par des lignes épurées, des formes géométriques audacieuses, le recours à l’ornementation et l’utilisation conjointe de matériaux modernes et traditionnels. Si les deux hommes empruntent par la suite certains traits de l’esthétique techno, ils n’en continuent pas moins à donner une importance fondamentale à la valeur paysagère de leurs projets, veillant à ce que chaque construction fasse corps avec son environnement naturel, à l’aide de matériaux comme le bois et la pierre notamment. 

Parmi leurs réalisations marquantes, on distingue particulièrement la Borsa Valori (Turin, 1956), ainsi que les logements et le mobilier du complexe Talponia (Ivrée, 1971), conçus pour le centre résidentiel Olivetti à Ivrée, qui est aujourd’hui classé par l’UNESCO. 

Première exposition d’envergure consacrée à Gabetti et Isola en France depuis leur rétrospective à l’Institut Français d’Architecture en 1996, Gabetti et Isola – Une autre modernité met l’accent sur ces deux édifices emblématiques à travers une sélection exceptionnelle de leur mobilier respectif. Roberto Gabetti et Aimaro Isola ont en effet pensé leurs projets comme des œuvres totales, imaginant mobilier, lampes, tapis dans le prolongement de leurs principes architecturaux. Reconnues pour leur originalité, leurs créations ont intégré les collections du MoMA à New York, du Centre Pompidou à Paris et du Maxxi à Rome. Abraham & Wolff dévoilera en regard une série jamais montrée d’esquisses préparatoires et de dessins techniques d’Aimaro Isola qui témoignent de l’élaboration de ces pièces.

Jocelyn Wolff et Samy Abraham tiennent à remercier très chaleureusement Aimaro Isola et son fils Hilario qui nous ont ouvert en grand les ressources de leurs archives, de leurs réserves et de leur mémoire afin de préparer cette exposition.

Roberto Gabetti et Aimaro Isola, Tapileo, 1968 – 1971 pour le complexe Olivetti (Italie, Ivrée), édition Amini Carpets 2022, composition : 80 % laine, 20 % coton, tissage à la main, 250 × 200 cm
Roberto Gabetti et Aimaro Isola, Tapiorso, 1968 – 1971 pour le complexe Olivetti (Italie, Ivrée), édition Amini Carpets 2022, composition : 80 % laine, 20 % coton, tissage à la main, 250 × 200 cm

Anastasi, Bianchi, Bock, Botella, Boucher Morales, Brunschwig, Cahn, Lamiel, Melsheimer, Nemours, Oberhuber, Perdrix, Prinz Gholam, Tropa, Venini and four angels. 

Vue de l’exposition montrant de gauche à droite un dessin d’Oswald Oberhuber, un chapiteau roman, une lampe Venini, une sérigraphie d’Elodie Seguin
Chapiteau en pierre représentant quatre anges, fin du XIème siècle, Europe, pierre, 31 x 15 cm (avec socle), 19 x 15 cm (sans socle), provenance : Galerie Alexandre Piatti
Elodie Seguin, Obstacles_Motif carré, 2022, sérigraphie sur papier, 73 x 73 x 5 cm encacré, unique

Pour cette nouvelle exposition, Abraham & Wolff propose un accrochage évolutif en forme de rétrospective. Un dialogue sans cesse renouvelé entre les artistes ayant marqué notre première année de programmation.

Incluant sculptures et dessins contemporains, éditions, multiples et design italien, cette sélection d’œuvres de William Anastasi, Diego Bianchi, Bruno Botella, Mélissa Boucher Morales, Colette Brunschwig, Miriam Cahn, Aurelie Nemours, Oswald Oberhuber, Jean-Marie Perdrix, Prinz Gholam, Francisco Tropa et Venini est accompagnée d’un exceptionnel chapiteau roman de la fin du XIème siècle provenant de la Galerie Alexandre Piatti. 

L’occasion de remercier aussi les galeristes qui ont rendu possibles nombre des projets qui ont ponctué l’année : la Galerie Compasso à Milan, la Galerie Marcelle Alix à Paris, la Galerie KOW à Berlin.

Mélissa Boucher Morales – Scrolling [faire défiler]

Photographie argentique noir et blanc sous verre diélectrique par Mélissa Boucher représentant une bouche ouverte
Mélissa Boucher Morales, Scrolling [faire défiler], 2021-2022, photographie argentique, tirages jets d’encre et verre diélectrique
Photographie argentique noir et blanc sous verre diélectrique par Mélissa Boucher représentant des pieds
Mélissa Boucher Morales, Scrolling [faire défiler], 2021-2022, photographie argentique, tirages jets d’encre et verre diélectrique
Photographie argentique noir et blanc sous verre diélectrique par Mélissa Boucher représentant un œil fermé
Mélissa Boucher Morales, Scrolling [faire défiler], 2021-2022, photographie argentique, tirages jets d’encre et verre diélectrique

Mélissa Boucher Morales élabore des projets photographiques, des vidéos et des éditions d’artiste dans lesquels elle explore les possibilités et les limites de l’image, son processus d’apparition et de disparition, à travers des formes et des notions liées à la représentation de l’intime. S’inscrivant dans cette recherche, le projet Scrolling[faire défiler] (2021-2022) est né d’une réflexion de l’artiste sur la production des images et leur altération, mais aussi d’un désir de créer une lecture alternative à la fascination exercée par les contenus pornographiques. Photographiant à l’argentique des vidéos en streaming de cam girls amatrices, du postporn ou de la pornographie féministe, l’artiste a capté des gestes intimes, isolé des fragments de corps, des gestes et des attitudes qui, sans son intervention, seraient restés noyés dans le flux. De ces détails, de ces images cachées dans l’image, l’artiste fait émerger une nouvelle sensualité. Elle les soumet à un traitement de pellicule spécifique qui donne aux modèles une apparence spectrale (à l’opposé des chairs brutalement exposées par la caméra), puis leur superpose une vitre diélectrique – verre dont les qualités réfléchissantes semblent renvoyer le spectateur.rice à son rôle de voyeur.euse – nouvel écran par lequel elle se réapproprie non seulement l’image mais le dispositif de visionnage initial. 

À l’occasion du festival PhotoSaintGermain, qui se tient du 2 au 25 novembre 2023, Abraham & Wolff a le plaisir de mettre à l’honneur le travail de Mélissa Boucher Morales en exposant une sélection d’œuvres issues de Scrolling [faire défiler]. 

Natura Pictrix, hommage à Roger Caillois

Vue de l’exposition Natura Pictrix, hommage à Roger Caillois
Filippo Napoletano, cercle de, Les anges annoncent la naissance du Messie aux bergers, XVIIe siècle, huile sur travertin, 29 x 25,5 cm
Anonyme, [3 personnages peints sur paésine], huile sur une plaque de paésine, 14,5 x 27,5 x 4 cm encadrée
Anonyme, [huile espagnole sur travertin représentant la Vierge et l’Enfant], XVIIème siècle, huile sur travertin, 21 x 16 x 0,8 cm
Francisco Tropa, Agate, 2023, impression jet d’encre sur papier montée sur aluminium, 71,5 x 71,5 x 4 cm encadré

Écrivain, penseur et collectionneur, Roger Caillois (1913-1978) fut l’une des figures les plus originales de la vie intellectuelle française du XXème siècle. Au cours d’une carrière riche et mouvementée, Caillois fut tour à tour proche du Grand Jeu puis des Surréalistes, fondateur du Collège de sociologie aux côtés de Georges Bataille et Michel Leiris, directeur de revue en Argentine, éditeur et traducteur promouvant en France les littératures sud-américaines (il révéla Jorge Luis Borges), puis fonctionnaire à l’Unesco et enfin membre de l’Académie française. 

Élaborée aux carrefours de disciplines multiples, son œuvre foisonnante compte plus d’une trentaine d’ouvrages sur des sujets aussi divers que les mantes religieuses, les mythes, le sacré, les jeux, le rêve, le mimétisme, la guerre, le fantastique ou les pierres. Ce corpus apparemment disparate trouve sa cohérence dans une grande idée qui obsédait Caillois : l’unité du monde. Selon lui, la nature serait tissée d’une seule et même trame qui se manifeste par des analogies cachées entre les phénomènes naturels. Recenser et classer l’ensemble des analogies qui unissent les différents règnes de la nature permettrait de mettre à jour la structure poétique du monde.

C’est en établissant un rapprochement de ce type entre les moirures métalliques d’un minéral, la labradorite, et les iridescences des ailes d’un papillon, le morpho, que Caillois commença à s’intéresser aux pierres. De simple sujet d’étude et de curiosité elles devinrent vite une véritable obsession. Fasciné par le pouvoir d’évocation de certains spécimens dans lesquels l’imagination croit reconnaitre la représentation plus ou moins fidèle d’objets réels, Caillois se mit à réunir les minéraux les plus étranges, les plus graphiques, les plus féconds en simulacres et en symboles, bâtissant une importante collection dont les plus belles pièces sont aujourd’hui exposées dans les musées parisiens. 

Lui qui se méfiait des charmes des beaux-arts et de la littérature, il ne se lassait jamais de contempler ses pierres à images. « Je préfère leurs dessins aux peintures des peintres, leurs formes aux sculptures des sculpteurs, tant elles me paraissent les œuvres d’un artiste moins méritant mais plus infaillible qu’eux. » (in Pierres, Gallimard, 1966) Le déchiffrement des pierres lui inspira ainsi l’une de ses grandes idées. Si l’on ne peut assimiler les minéraux à des œuvres d’art en tant que telles, c’est-à-dire à des créations délibérées, il semble néanmoins que la nature puisse parfois mériter le titre d’artiste et les pierres celui d’œuvres d’art naturelles. Natura pictrix, la nature peintre, comme l’appelait Caillois (in Méduse et Cie, Gallimard, 1960), s’impose alors comme une concurrente redoutable des artistes, ayant précédé avec audace leurs trouvailles d’hier et d’aujourd’hui. 

Cette réflexion originale doit beaucoup à l’étude souvent reprise par Caillois d’une pierre en particulier : la paésine. Les paésines sont des calcaires microcristallins dont les gisements se trouvent en Toscane, dans la région de Florence. Après coupe et polissage, ces pierres laissent apparaitre des motifs qui suggèrent de manière troublante toute une gamme de paysages : villes et villages aux édifices en ruine, panorama de gratte-ciels, falaises sur le littoral, grottes marines, mers déchainées, ciels tourmentés etc. D’où leur nom de marbre-paysage ou marbre-ruine.     

Les paésines suscitèrent l’engouement au XVIe et au XVIIe siècle. Très recherchées, elles ornaient les cabinets de curiosités des Médicis, de Gustave-Adolphe de Suède ou de Rodolphe II de Habsbourg. Elles entraient dans la composition de somptueuses marqueteries de pierre. Les plus saisissantes d’entre elles faisaient même l’objet d’encadrements qui leur conféraient le statut de véritables tableaux. Des tableaux naturels dont les artistes eux-mêmes reconnaissaient la valeur esthétique, pour ne pas dire artistique, au point de troquer parfois la toile pour le minéral. 

Sans doute aidés par des tailleurs de pierre, ils choisissaient les paésines, mais aussi les jaspes, les marbres ou les lapis-lazulis dont les couleurs et les veines se prêteraient le mieux à leur fantaisie et les peuplaient de personnages, d’arbres, d’animaux, d’objets. Des peintres comme Sebastiano del Piombo (1485-1547), Antoine Carrache (1583-1618), Johann König (1586-1642) ou Mathieu Dubus (1590-1665) profitèrent ainsi des décors naturels qui s’offraient à eux pour composer des scènes religieuses et mythologiques dans lesquelles art et nature dialoguent et se confondent. 

Natura Pictrix rend hommage au penseur original et au grand collectionneur que fut Caillois ainsi qu’à cette tradition de la peinture sur pierre qu’il a si bien mise en lumière. L’exposition réunit un choix de pierres peintes anonymes datant du XVIIe siècle, des paésines exceptionnelles, mais aussi un frottage de Max Ernst ayant appartenu à Caillois. C’est aussi l’occasion d’une rencontre entre création historique et art contemporain, avec des œuvres inédites du sculpteur Francisco Tropa, chez qui les lames d’agate occupent une place particulière. 

Prinz Gholam – There are Eyes

Vue de l'exposition There are Eyes de Prinz Gholam montrant des sculptures faites de pierres, des masques dessinés aux crayons de couleur et un extrait vidéo de performance
Vue de l’exposition There are Eyes de Prinz Gholam
Vue de l'exposition There are Eyes de Prinz Gholam montrant des sculptures faites de pierres, un masque dessiné aux crayons de couleur et un extrait vidéo de la performance intitulée There are Eyes
Diffusion de la performance intitulée There are Eyes (Prinz Gholam, There are Eyes, 2022, vidéo HD mp4 avec son, 43 min 12 s)
Vue de l'exposition There are Eyes de Prinz Gholam montrant des dessins performatifs réalisés au crayon de couleur
Vue de l’exposition There are Eyes de Prinz Gholam
Dessin performatif du duo Prinz Gholam réalisé au crayon de couleur représentant plusieurs personnages assumant des poses diverses
Prinz Gholam, Pavilion of Wild Pinks, 2021, crayons de couleur sur toile, 215 x 345 cm, signé et daté, unique
Sculptures en pierres collées représentant des visages réalisées par le duo d'artistes Prinz Gholam
Prinz Gholam, Pair, 2021, pierres et colle, 2 éléments, l’ensemble : ca 13 x 53 cm, unique
Masque performatif dessiné au crayon de couleur par le duo d'artistes Prinz Gholam
Prinz Gholam, Blue Hair, 2022, crayons de couleur sur papier, ruban élastique, ca 26 x 26 cm, unique

Formé de Wolgang Prinz (né en 1969) et de Michel Gholam (né en 1963), le duo Prinz Gholam a développé au cours des 20 dernières années une pratique de la performance dans laquelle les deux artistes utilisent leur corps pour réinterpréter des références culturelles très diverses allant de la peinture ancienne à la sculpture en passant par l’art contemporain, le cinéma ou les images médiatiques. Ces stéréotypes culturels, les deux hommes les intériorisent et les incarnent à travers des chorégraphies précises durant lesquelles ils exécutent une succession de poses soigneusement choisies, se déplaçant telles des sculptures vivantes. 

Lente et fluide, donnant à sentir le passage du temps, leur gestuelle ne cherche pas à approcher l’esthétisme d’une chorégraphie dansée. Dans leur alternance entre mouvement et moment de pose, les corps des deux artistes deviennent en effet moins le véhicule d’une émotion que d’une histoire, celle de la représentation du corps. En réinterprétant les images qui composent cette histoire, le duo montre comment nos corps et nos gestes – et avec eux notre identité – sont façonnés par l’assimilation d’un canon culturel dominant.

Chacune des performances de Prinz Gholam s’accompagne d’un processus intense de création de matériel visuel et d’éléments performatifs (vidéos, photographies, objets, installations) au sein duquel la pratique du dessin occupe aujourd’hui une place importante. Les deux artistes conçoivent le dessin comme un champ d’expérimentation dans lequel ils peuvent imaginer et projeter spontanément les gestes, les postures ou les accessoires qui feront partie de leur chorégraphie, ainsi que la manière dont ils entreront en relation. Sur de grands formats réalisés au crayon de couleur, ils mettent ainsi en scène une multitude de figures qui évoluent parfois dans une représentation de l’espace-même où aura lieu la performance. Une constellation de corps en liberté qui annonce la tonalité de cette dernière tout en préfigurant par l’image son processus de réactualisation de l’histoire.

Pour cette nouvelle exposition intitulée There are Eyes, Abraham & Wolff a le plaisir d’exposer des dessins de grand format réalisés à l’occasion de deux performances, L’esprit de notre temps (Mattatoio, Rome, 2021) et Similitude (Punta della Dogana, Venise, 2018), mais aussi une série de masques en papier et de visages composés d’assemblages de pierres qui témoignent de leur pratique multidisciplinaire. Récemment apparus dans le travail de Prinz Gholam, ces objets chargés historiquement et symboliquement que sont les masques sont venus accentuer le hiératisme et la théâtralité de leurs chorégraphies tout en approfondissant leur réflexion sur l’identité. Une recherche à laquelle semblent faire écho ces groupes de visages que les artistes réalisent à l’aide de pierre qu’ils glanent aux quatre coins du monde depuis plusieurs années. La projection vidéo de plusieurs extraits de performances permet au visiteur d’appréhender la relation complexe qu’entretiennent ces différents éléments.

Katinka Bock

Vue de l'exposition Katinka Bock qui montre un ensemble d'œuvres inédites dont des céramiques
Vue de l’exposition Katinka Bock
Ensemble inédit de sculptures de l'artiste Katinka Bock datant de 2023
Vue de l’exposition Katinka Bock
Sculpture en céramique émaillée verte de l'artiste Katinka Bock réalisée en 2023
Katinka Bock, I’m your man, 2023, céramique émaillée, 60 x 9 x 5 cm, unique
Oeuvre datant de 2023 de l'artiste Katinka Bock composée d'une toile bleue insolée, de trois moulages en bronze de noyaux d'abricot et d'une poignée en céramique.
Katinka Bock, Der blaue Sonnenstich, 2023, toile, céramique, bronze, 5 éléments : 80,5 x 130,5 cm, unique
Sculpture datant de 2023 de l'artiste Katinka Bock composée de deux pièces en céramique blanche imbriquées l'une dans l'autre
Katinka Bock, Pavillon (Reunification), 2023, céramique, 31 x 14 x 13 cm, unique

Abraham & Wolff est heureux de consacrer cette nouvelle exposition à l’œuvre de Katinka Bock. L’artiste nous a confié pour cette occasion une sélection de pièces tout droit sorties de son atelier qui comprend des monotypes et de petites sculptures. Elles sont montrées dans une scénographie qu’elle a spécialement élaborée pour notre espace.

On peut saisir à travers cet ensemble inédit l’essentiel des gestes clés et des thèmes qui caractérisent la pratique de l’artiste. Trois sculptures en terre brune marquées par une empreinte évoquant des écailles témoignent non seulement de l’intérêt de Katinka Bock pour les formes pliées et plissées mais aussi de l’attention particulière qu’elle accorde aux traces, motif récurrent qui traverse aussi bien son travail de sculpture que ses photographies ou ses monotypes. I’m your man, une pièce en céramique émaillée verte pensée pour venir souligner la limite du pan de mur auquel elle est accrochée, s’inscrit dans les recherches de l’artiste sur les notions de frontière et de seuil compris comme lieux de communication entre l’intérieur et l’extérieur des espaces où sont exposées ses œuvres. Autre source de réflexion importante, l’exploration de la séparation et du lien entre les corps semble inspirer une pièce composée de deux céramiques blanches emboitées l’une dans l’autre intitulée Pavillon (Réunification). Particulièrement sensible aux problématiques spatiales et temporelles, il arrive que Katinka Bock expose certaines de ses créations à des processus d’altération naturels, laissant le temps et l’environnement extérieur affecter l’œuvre, comme avec cette toile bleue fixée sur un châssis après avoir été insolée à certains endroits. Sur le bord supérieur du châssis sont disposés trois répliques en bronze de noyaux d’abricots qui rappellent d’autres moulages d’objets réels réalisés par l’artiste : poissons, cactus ou noyaux de cerises. 

Katinka Bock, Bruno Botella, Miriam Cahn

Vue de l'exposition Katinka Bock, Bruno Botella, Miriam Cahn
Vue de l’exposition
Sculpture en bois, céramique et métal de l'artiste Katinka Bock
Katinka Bock, C’est la taille qui compte, 2023, bois, céramique, métal, 3 éléments 62 x 12 x 17 cm
Dessin au crayon et aux pigments de l'artiste suisse Miriam Cahn
Miriam Cahn, o.t., 24.1.94, crayon et pigments sur papier, 26 x 36 cm
Dessin au pinceau à calligraphie de l'artiste français Bruno Botella représentant un motif inattendu et étrange comme une hallucination
Bruno Botella, Sans titre, 2021, pinceau à calligraphie, 25,5 x 36 cm

Pour ce nouvel accrochage, Abraham & Wolff est heureux d’exposer une sélection de dessins de Miriam Cahn et de Bruno Botella ainsi que quatre sculptures inédites de Katinka Bock.

Inspirée par les luttes féministes et contestataires, l’œuvre de Miriam Cahn puise son énergie dans la colère et l’indignation ressenties face à la violence et aux injustices. Tout comme sa peinture, ses dessins sont hantés par des thèmes comme le sexe, le pouvoir et la guerre. La représentation du corps conçu comme lieu d’exercice du pouvoir y occupe une place centrale. 

Les dessins de Bruno Botella prolongent les expérimentations plastiques et sensorielles à travers lesquelles l’artiste a tenté de prendre l’empreinte d’une activité psychique dans un objet sculpté. L’artiste y laisse aller le plus librement possible son pinceau à calligraphie afin de faire émerger, selon ses propres mots, une « image inattendue et étrange comme une hallucination ».

Qu’elles soient faites en céramique, en bois, en bronze ou en métal, les sculptures de Katinka Bock résultent souvent de gestes simples, directement lisibles dans leur forme : pliage, pression, chute, impression, enroulement, mise en équilibre. La sculpture intitulée C’est la taille qui compte est composée d’un morceau de bois taillé et façonné dont l’un des côtés tient en équilibre sur une tige en métal. À cette extrémité le bois présente un creux dans lequel vient se nicher une forme céramique blanche repliée.

Bruno Botella – Aaah?! On ne s’évade pas de Backwards Rock ?!! …

Dessin de l'artiste français Bruno Botella réalisé en 2021 au pinceau à calligraphie et représentant une image étrange et inattendue comme une hallucination
Bruno Botella, Sans titre, 2021, pinceau à calligraphie, 36 x 25,5 cm
Dessin de l'artiste français Bruno Botella réalisé en 2021 au pinceau à calligraphie et représentant une image étrange et inattendue comme une hallucination
Bruno Botella, Sans titre, 2021, pinceau à calligraphie, 36 x 25,5 cm
Dessin de l'artiste français Bruno Botella réalisé en 2021 au pinceau à calligraphie et représentant une image étrange et inattendue comme une hallucination
Bruno Botella, Sans titre, 2021, pinceau à calligraphie, 36 x 25,5 cm

Bruno Botella est l’auteur d’une œuvre expérimentale qui se caractérise par un processus de création affranchi des suggestions de la conscience. Cherchant à se déprendre de soi et de tout faire artistique, l’artiste élabore des dispositifs qui visent à prendre l’empreinte d’une activité psychique dans un objet sculpté. Il travaille les bras plongés dans des caissons qui lui rendent invisible son geste, sculptant parfois des matériaux insolites tels que de l’argile anesthésiante ou du qotrob, une pâte à modeler hallucinogène de son invention. En miroir de ces expérimentations plastiques et sensorielles, Botella entretient une pratique du dessin dont les recherches remontent aux premiers dessins animés qu’il a produits au sortir des Beaux-Arts de Paris. Avec cette nouvelle série, réalisée à Kyoto où il vit désormais, il s’efforce de rendre son geste le plus libre possible, laissant aller son pinceau à calligraphie sur la feuille pour faire émerger, selon ses mots, « une image inattendue et étrange comme une hallucination ». 

Imre Pán & Aurelie Nemours, Correspondances

Revue intitulée Les hors-textes de Morphèmes publiée par le poète, critique d'art et éditeur hongrois Imre Pan en 1965, contenant un poème et un collage original de l'artiste française Aurelie Nemours.
Aurelie Nemours, Imre Pan, Les hors-textes de MORPHÈMES, 1965, Cahier : 4 pp, 19,2 x 14,5 cm, Collage : papiers collés sur carton, 19 x 14 cm, signé, daté et numéroté VIII au dos, unique
Collage abstrait de l'artiste française Aurelie Nemours datant de 1965, réalisé partir de morceaux de papier noir, bleu et blanc découpés dans des journaux.
Aurelie Nemours, Sans titre (réalisé pour Les hors-textes de MORPHÈMES édité par Imre Pan), papiers collés sur carton, 19 x 14 cm, signé, daté et numéroté VIII au dos, unique
Collage abstrait de l'artiste française Aurelie Nemours datant de 1965, réalisé partir de morceaux de papier noir, jaune, blanc, rose et orange découpés dans des journaux.
Aurelie Nemours, Sans titre (réalisé pour Les hors-textes de MORPHÈMES édité par Imre Pan), 1965, papiers collés sur carton, 19 x 14 cm, signé, daté et numéroté II au dos, unique
Collage abstrait de l'artiste française Aurelie Nemours datant de 1968, réalisé partir de lettrages découpés dans du papier journal.
Aurelie Nemours, Sans titre, 1968, papiers collés sur carton, 19 x 14 cm, signé, daté et numéroté 7 au dos, unique
Sérigraphie abstraite de l'artiste française Aurelie Nemours datant de 1970, représentant un enchainement de carrés marron, orange, rouge et blanc autour d'un carré noir.
Aurelie Nemours, Sans titre, 1970-1971, sérigraphie, 16 x 12,5 cm, signée et numérotée 28/100
Sérigraphie abstraite de l'artiste française Aurelie Nemours datant de 1970, représentant un enchainement de carrés noir, bleu, rouge et jaune autour d'un carré blanc.
Aurelie Nemours, Sans titre, 1970-1971, sérigraphie, 16 x 12.5 cm, signé et numéroté 26/100

Les collages d’Aurelie Nemours sont une surprise. Visuelle. Plastique. Poétique. Pour qui s’est habitué.e, un peu distraitement, aux œuvres géométriques de la ligne – horizontale, verticale – et du point chez l’artiste, à son noir et à son blanc aussi rigoureux que sensuels, à ses aplats vibrant de couleurs monochromes, au vide profond, velouté, d’un infini répété qu’elle déploie de série en série, ses collages de 1965 et de 1968, réalisés à la demande d’Imre Pan pour les éditions qu’il conçoit de façon inlassable, entrecroisée, rhizomatique, fragmentée, et dont il reprend sans cesse l’intitulé (Signe, Signe Morphèmes, Signe L’art du dessin, L’estampe moderne, Morphèmes, Mini-Musée, Préverbes…), s’avèrent, à leur découverte, des ensembles d’une singulière unité et, surtout, un fructueux pas-de-côté de l’artiste.

Lorsqu’ils se sont dévoilés de leur papier de soie où ils étaient scrupuleusement mis à l’abri de la lumière naturelle, de la poussière longue du temps, des éventuelles déchirures ou pliures, lorsqu’ils se sont détachés de leur enveloppe de souple et mat papier cartonné vélin d’Arches qui les épouse à l’un des exemplaires de la revue Morphèmes, plus précisément le numéro 5 daté de 1965, et au poème « Équerre » de l’artiste, ce fut un miroitement éblouissant d’aplats larges ou en lanières découpées, de couleurs vives, entrecoupées, enchevêtrées, entrelacées, une modulation d’obliques, une ondulation de bleu, de vert, de rouge, de jaune, une danse ou plutôt une chorégraphie si peu austère de lettres typographiques jouant du fragment et du caché, venu d’un papier magazine ordinaire de la société moderne et consommatrice du début des années 1960 qui ouvraient à de nouvelles avant-gardes artistiques ne dédaignant pas redécouvrir la technique du collage et des papiers peints. Ainsi le Pop Art. Si les collages si originaux d’Aurelie Nemours sont une surprise, ou s’ils sont à chaque fois un étonnement, ils n’étaient pas des inconnus du travail de l’artiste de Rythme du millimètre ou Structure du silence… à tout le moins des oubliés que Serge Lemoine et Marianne Le Pomméré firent revenir au visible d’une exposition et d’un catalogue en 2001, au Musée de Grenoble, dans Aurelie Nemours. Pastels. Gouaches. Collages.

Mais l’oubli, encore, les menace, vingt ans après…

Les faire revenir, aujourd’hui, en 2023, dans la vitrine de la galerie Abraham & Wolff, dans une présentation discrète et modeste, attentive à la fois à ce qu’ils sont en tant qu’œuvre plastique unique et en tant que partie prenante d’une édition unissant poésie et forme visuelle, d’une édition qui dissout les frontières arbitraires entre le littéraire et les arts visuels, c’est faire revenir au jour l’un des exemples les plus riches et sensibles de collaboration entre un critique d’art poète et une artiste poète. Et par cette « association » qui se réalise sous le format de la publication éditoriale – le grand projet ou le grand œuvre d’Imre Pan dans ses années parisiennes –, Aurelie Nemours rejoint des artistes amies comme Marcelle Cahn, des artistes – dont sans nul doute elle est plus éloignée – soutenus et inlassablement exposés, montrés par Imre Pan depuis son installation à Paris, tels que Étienne Hadju, Victor Vasarely, Geneviève Asse, Corneille, Roberto Matta, André Marfaing, Christine Boumeester, René Bertholo, Sonia Delaunay, Jacques Doucet, Arpad Szenes, Ida Karskaya, et, un peu plus tard, Lourdes Castro, Milvia Maglione, Colette Brunschwig…

Imre Pan, qui crée, à partir de 1960, ces éditions de petit ou moyen format, à tirage limité, publiées sous forme de cahier imprimé composé d’un texte critique dont il est l’auteur ou d’un poème d’artiste comme pour Aurelie Nemours, et accompagnées d’une œuvre originale inédite (eau-forte, dessin, aquarelle, gouache, pastel, collage), s’inscrit dans la généalogie de ce synchrétisme des arts des premières avant-gardes de la modernité du début du XXe siècle. Pan le perpétue, le maintient, le renouvelle, le réactualise tout au long de cette décennie des années 1960 qui invente et s’interroge sur d’autres possibles d’usages des matériaux et de nouveaux langages formels où l’écrit et la lettre redessinent des surfaces, rythment des blancs et des espaces typographiés, où se déploie au sein de groupes artistiques expérimentaux, au Brésil, aux États-Unis, en France, en Italie, au Portugal, une poésie visuelle, concrète, sonore. Les collages d’Aurelie Nemours, s’ils s’ancrent dans la lignée cubiste de ceux de Kurt Schwitters, par exemple, ne peuvent pas ne pas être regardés à l’aune des nouvelles formes poétiques et musicales contemporaines, et de cette pratique renouvelée du collage.

Aurelie Nemours et Imre Pan se rencontrent en 1963. Leur collaboration s’étend tout au long de la décennie. Elle s’initie à travers la publication d’une poésie de l’artiste dans le premier numéro de la revue Morphèmes (janvier-février 1963) :

« L’herbe
Le souffle
Les vols voluptueux
Les trilles secrètes
Le chant
L’astre en filigrane pour matin
De Gloire
Insolite la vérité de ce martyr
Dans notre mémoire d’innocence »

Le second numéro de la revue (mars-avril 1963) – qui est accompagné d’une eau-forte de Geneviève Asse – accueille un nouveau poème d’Aurelie Nemours :

« La trace 

L’éclair

L’Instant
L’espace donné de charité

L’impondérabilité
La face »

En 1965 ou 1964, donc, Imre Pan invite Aurelie Nemours à réaliser un ensemble de vingt collages qui sont publiés dans le numéro 5 des Feuillets de Morphèmes ou Hors texte de Morphèmes daté de 1965. L’artiste compose un nouveau poème, « Équerre », sorte de réponse regard vers ces œuvres pour elle inédites dans sa pratique, et d’aucun.es s’accordent à considérer qu’elle y attacha peu d’importance. Faut-il écouter Aurelie Nemours ? L’unité et la singularité de l’ensemble, qui sera complétée en 1968 par la création d’une nouvelle série de vingt collages numérotés et signés, toujours à la demande d’Imre Pan, laissent à imaginer qu’il y a moins eu indifférence de la part d’Aurelie Nemours qu’expérimentation esthétique et méditative.

Les collages de 1968 n’ont jamais été publiés dans l’édition qui était probablement envisagée par Imre Pan. Ils se caractérisent également par une unité visuelle proche de la partition musicale fragmentée, l’artiste explorant davantage les torsions et les découpes du mot, de son unité-signe, la lettre. C’est sans doute dans l’insolite de ces collages restés esseulés de leur publication que se manifeste avec le plus de prégnance les échos d’une poésie concrète et sonore dans le silence même des écarts de blanc, dans les rythmes sinueux de coupes typographiques inattendues, et inventives d’une nouvelle plasticité du mot matière et de sa forme détachée.

Regarder les collages d’Aurelie Nemours, c’est mobiliser le mobile et le méditatif, le mouvement et l’énergie de l’espace ; c’est se tourner vers le contemporain du fragment et de la découpe, de la césure et de l’étale, particulièrement si l’on reste à l’écoute des pièces de 1968. Si la demande est : les collages d’Aurelie Nemours sont-ils des poèmes ? L’affirmatif est la réponse.

Marjorie Micucci, avril 2023